De l’importance de la motivation intrinsèque de l’enseignant : les leçons du secteur privé

Ecrit le 02 oct 18 par Eilean von Lautz - Cauzanet
Enseignants et formation des enseignants

 

Une augmentation de salaire peut-elle suffire à enrayer la crise de motivation des enseignants ? L’étude de l’approche fondée sur la motivation intrinsèque dans le secteur privé montre comment investir dans l’autonomie, le travail d’équipe et les modèles de carrière des enseignants peut être bénéfique pour l’action éducative.

Importance de la motivation intrinsèque

Comment encourager un professeur à être performant en classe ? Cette question, qui est une priorité pour les décideurs de l’éducation, est au cœur des débats de la communauté éducative internationale. Pendant des années, les instances éducatives ont tenu le personnel enseignant responsable des acquis des élèves, avec une approche de la réussite scolaire fondée sur le rendu de comptes. Cette stratégie n’a pas porté ses fruits : les acquis n’ont pas été améliorés, les enseignants sont sous pression et les mauvaises conditions de travail, associées à des salaires peu attractifs, ne facilitent pas le recrutement ni la rétention des talents. Les instances dirigeantes ont dû reconnaître qu’une « crise de motivation » chez les enseignants risquait de mettre à mal la qualité de l’éducation. Si le débat s’est cristallisé autour de la question de la rémunération, il est toutefois important de prendre également en compte le rôle de la motivation intrinsèque.

Dans l’ensemble, nul ne conteste que pour améliorer la qualité de l’éducation, il faille renforcer la motivation du corps enseignant, mais dans les pays où le statut et la motivation des enseignants ont régressé, comment inverser cette tendance et « reprofessionnaliser » le métier ? D’un point de vue managérial, mettre en place une structure de carrière plus sophistiquée pourrait constituer un élément de réponse. Les théories de la motivation mettent en lumière l’importance de facteurs de motivation comme, entre autres, le sentiment d’accomplissement personnel, l’épanouissement, la reconnaissance, le statut, l’autonomie, l’indépendance, un salaire équitable et la stabilité de l’emploi. Tous ces aspects sont liés au parcours de carrière, qui peut donc être un levier puissant pour agir sur la motivation des enseignants.

Des récentes recherches de l’IIPE-UNESCO sur les carrières des enseignants et leur motivation ont montré que l’introduction des échelons de carrière s’est révélée particulièrement motivante, en promouvant l’avancement professionnel et en liant le salaire à une augmentation des responsabilités, un résultat conforme à ceux d’autres études. Donner de l’autonomie aux enseignants, renforçant ainsi leur rôle décisionnel, a permis d’accroître leur motivation (Kefalidou, Vassilakis et Pitsalidis, 2015). La formation professionnelle continue, et une collaboration accrue au travail renforcent également la motivation des enseignants. Par exemple, il a été établi que les environnements collaboratifs où la responsabilité de la réussite des élèves est partagée motivent les enseignants à atteindre les objectifs pédagogiques (Anderson, 2010). Les pays qui donnent une grande importance aux dynamiques collaboratives rendent la profession d’enseignant plus attractive, comme en témoigne le programme de carrières des enseignants de la ville de New York.

Ces études confirment les découvertes des théoriciens de la motivation des années 1950, comme Maslow, Herzberg, Deci ou encore Ryan, qui avançaient que si les individus travaillant dans des organisations sont épanouis dans leur besoin naturel d’indépendance, d’acquisition de compétences et de rapport aux autres, ils seront alors plus motivés, plus satisfaits et plus performants sur le long terme. Inversement, l’utilisation de stimuli de motivation extrinsèques, comme les primes, peut avoir une incidence négative sur la motivation et la performance (Maslow, 1943 ; Herzberg, Mausnek, et Syndebman 1959 ; Deci et Ryan, 1985) (voir tableau 1).

Tableau 1 Définitions de la motivation intrinsèque et extrinsèque selon la théorie de l’évaluation cognitive de Deci et Ryan (1985)


Type de motivation        
Définition Associée à
Intrinsèque
L’action est motivée par l’intérêt qu’elle présente ou le plaisir qu’elle peut apporter.

Créativité, résolution de problèmes, souplesse cognitive, persévérance.

Extrinsèque

 

L’action est motivée par un résultat distinct et désirable, comme une récompense.
Augmentation initiale de la fréquence de l’action en question, mène à une baisse ultérieure de la motivation intrinsèque.

Source: Crehan, 2017

Bien que cela soit difficile à mesurer, il est important de prendre en compte les questions de motivation intrinsèque, parce qu’elle est universelle et présente sur tous les plans. Les instances dirigeantes de la sphère éducative doivent se tourner vers d’autres secteurs pour apprendre à motiver leur personnel. Analyser les approches adoptées dans le privé permet de tirer des enseignements intéressants que l’on peut adapter au corps enseignant. Sans surprise, ces approches correspondent aux résultats des recherches de l’IIPE-UNESCO sur les carrières et la motivation des enseignants.

Ce que nous pouvons apprendre du secteur privé

Tout comme l’éducation, le secteur privé s’est lui aussi éloigné de l’approche fondée uniquement sur la responsabilité personnelle, et prend désormais en compte les facteurs de motivation intrinsèque. Depuis les années 1950, les modèles d’évaluation formative ont été intégrés aux structures de gestion du personnel pour aider à renforcer les capacités et les compétences des employés. Des entreprises, comme General Electrics, ont investi dans ce processus dès les années 1960, dans le but de faire la part des choses entre les questions de responsabilité et de développement professionnel. Cependant, tout comme la doctrine de « reddition de comptes » a dominé la stratégie de gestion du corps enseignant dans les années 1980, les crises économiques mondiales ont poussé les entreprises à revenir à une approche fondée sur la responsabilité personnelle. Celles-ci ont mis en place des systèmes de management par classement, dans lesquels seuls les meilleurs avaient des perspectives de promotion. Jusqu’au début des années 2000, l’importance des normes, de la notation et des primes faisait écho aux stimuli de motivation extrinsèque observés dans la sphère éducative.

Les choses ont changé lorsque les entreprises ont compris que les méthodes classiques de management de la performance étaient non seulement coûteuses, mais également inefficaces en matière de recrutement et de rétention des talents. Le Manifeste agile, lancé en 2001 par des développeurs de logiciels, a incité les entreprises à introduire des principes tels que la collaboration, l’auto-organisation, l’indépendance et à mener une réflexion régulière sur l’efficacité des pratiques de travail. De grands groupes comme Adobe et IBM ont donc lancé une « révolution du management de la performance », qui a mis l’accent sur la motivation (Capelli et Travis, 2016). Les entreprises se sont rendu compte que la motivation intrinsèque augmentait la productivité, la satisfaction et la loyauté des employés.

Ainsi, le travail d’équipe et la collaboration sont devenus des incontournables en entreprise. Des études ont montré que l’engagement des employés augmente lorsque la collaboration est encouragée et que l’efficacité de chacun dépend de celle des autres. De même, un plus haut degré d’autonomie accroît le sens de responsabilité des employés vis-à-vis de leur entreprise et de leurs résultats (Brown et coll., 2015). De nombreuses entreprises ont également mis en place pour leurs employés des plans de carrière qui élargissent les possibilités de formation et augmentent leurs chances d’être promus. Cette stratégie a augmenté la rétention du personnel et est considérée comme plus importante que les primes (Deloitte, 2012).

L’adaptation des dirigeants est une autre approche fondamentale pour augmenter la motivation intrinsèque. Les managers qui se positionnent comme des mentors sont de meilleurs dirigeants, et peuvent représenter jusqu’à 70 % de la motivation de l’employé (Gallup inc., 2015). L’approche descendante a peu à peu cédé la place à un processus décisionnel décentralisé qui contribue à créer un sentiment d’appartenance et d’adhésion. Il est de plus en plus attendu des managers qu’ils jouent un rôle de mentors et qu’ils fixent des objectifs clairs et cohérents, qu’ils fassent des retours rapides et qu’ils soient transparents sur les perspectives de carrière de leurs subordonnés.   

Enfin, l’accent mis sur la motivation intrinsèque a initié des changements dans les processus de recrutement : les entreprises préfèrent maintenant recruter des employés qui correspondent à leur culture et partagent leurs valeurs. James Heskett, professeur de commerce à Harvard, conseille aux systèmes éducatifs de réexaminer leur politique de recrutement, et de se concentrer sur l’embauche d’administrateurs et de formateurs « réellement intéressés par autrui et par les besoins de chacun, capables de se définir des objectifs et de les atteindre en créant un climat de confiance grâce à un encadrement clair, qui soient généreux et qui aiment échanger et collaborer » (2018). Heskett encourage également l’implication du personnel dans le recrutement de nouveaux collaborateurs, car ils sont les mieux placés pour détecter chez les candidats les qualités citées plus haut.

Le parallèle entre les questions de motivation dans le secteur de l’éducation et dans le privé montre que la « crise de motivation des enseignants » ne doit pas se limiter aux débats sur les niveaux de rémunération et les conditions de travail. Cependant, les discussions sur la motivation des enseignants n’aboutiront pas tant que ces « facteurs d’hygiène » (1) — ces conditions préalables — ne seront pas en place. La motivation intrinsèque est liée au besoin d’obtenir plus d’autonomie, d’acquérir des connaissances et de se sentir à sa place au travail. Quinze années d’expérience et de recherches dans le secteur privé ont montré que les plans de carrière favorisant une approche fondée sur le développement professionnel et la collaboration peur mener à long terme à plus de motivation et à de meilleures performances, si les conditions de base sont remplies.


(1) Dans la théorie des deux facteurs d'Herzberg (1959), les «facteurs d'hygiène» sont ainsi nommés en référence au fait que si un environnement hygiénique n'améliore pas la santé, son absence peut lui nuire. La satisfaction au travail commence donc lorsque les facteurs d'hygiène de base sont satisfaisants.

Bibliographie

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