Apprendre d'un système éducatif décentralisé

Ecrit le 01 nov 17 par Elizabeth Mann
Microplanification de l'éducation

Quel rôle le gouvernement central devrait-il jouer dans un système éducatif décentralisé ? Il est essentiel de répondre à cette question pour améliorer les résultats des élèves à travers le monde, alors que les gouvernements étudient la meilleure manière de mobiliser les responsables locaux en améliorant les résultats et la responsabilité.

Ces dernières années, de nombreux pays ont décentralisé leur système éducatif. Dans ce contexte, il peut être utile d'étudier le système éducatif des États-Unis, décentralisé depuis l’origine, qui compte actuellement plus de 14 000 districts scolaires. S’il n’est pas possible de transposer un système d'un pays à l'autre, on peut toujours apprendre de la lutte contre les inégalités, pour la protection des droits civiques, pour la responsabilisation et le droit d’expression de chaque acteur du système éducatif décentralisé, aux États-Unis.

Retour de balancier

Tout au long de l’histoire des États-Unis, les gouvernements locaux et fédéral ont toujours assumé la gestion de l'enseignement public. Si le contrôle local offre de nombreux avantages compte tenu de la diversité des besoins des communautés, on observe également de fortes inégalités dans le système éducatif actuel. Cf. carte de la Figure 1 montrant le pourcentage d’élèves vivant en-dessous du seuil de pauvreté fédéral, par district. Les écarts entre et au sein des États sont impressionnants

Figure 1 : Niveau de pauvreté dans les districts scolaires des États-Unis (2014)

Ces écarts sont largement liés aux inégalités de revenus et à la configuration résidentielle des États-Unis, marquée par la ségrégation raciale et économique. Ils sont également liés à la manière dont les districts scolaires sont définis par les États. Les responsables des États décident, en effet, des délimitations et de la gestion des districts. Sur l’essentiel de l’histoire des États-Unis, ce sont les autorités locales et des États qui se sont chargées d’élaborer et de mettre en œuvre la politique éducative et de décider des enseignements, de l’organisation et du financement des systèmes éducatifs et de la responsabilité des établissements pour les résultats des élèves.

En 2001, le gouvernement fédéral (national) a pris une mesure radicale pour uniformiser les politiques entre les États et les districts dans le cadre du No Child Left Behind Act, l’idée étant qu’une re-centralisation était nécessaire pour améliorer les résultats scolaires et réduire les écarts entre les élèves blancs et issus des minorités (écarts également liés aux inégalités socioéconomiques entre groupes raciaux). Cette loi a été très critiquée et le balancier a re-basculé dans la direction opposée. En décembre 2015, le Congrès a voté une nouvelle loi, Every Student Succeeds Act (ESSA), offrant de nouveau davantage de flexibilité aux États.

Compte tenu des débats historiques et actuels sur la décentralisation, le rôle des différents niveaux de gouvernement pour assurer un haut niveau d'éducation aux États-Unis est loin d’être figé.

Comment protéger les droits civiques des élèves ?

L’un des rôles fondamentaux du gouvernement fédéral consiste à protéger les droits civiques des élèves issus des minorités. En 1954, la Cour suprême des États-Unis a déclaré inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans l’enseignement public dans le dossier Brown vs. Board of Education. Depuis cette décision, le gouvernement fédéral continue à protéger les droits civiques des étudiants afro-américains et issus des autres minorités. En 1965, le Congrès a notamment voté une loi, l’Elementary and Secondary Education Act (ESEA), pour financer les écoles recevant une part importante d'étudiants défavorisés.

Par ailleurs, un Office for Civil Rights (OCR, Bureau des droits civiques) a été créé au sein du ministère fédéral de l’Éducation. Tout citoyen peut saisir l’OCR s’il « pense qu’un établissement scolaire, recevant une aide fédérale, a fait preuve de discrimination fondée sur l’origine, la couleur de peau, la nationalité, le sexe, le handicap ou l’âge. » À travers l’OCR, l’État fédéral s'assure que les administrations scolaires locales et étatiques protègent les droits civiques des étudiants.

Par ailleurs, depuis 2001, la législation fédérale impose aux établissements scolaires de communiquer les résultats des élèves par sous-groupe. Les écoles doivent communiquer les résultats moyens des tests standardisés des minorités raciales, des élèves anglophones, des élèves recevant une éducation spécialisée et des élèves issus de familles à bas revenu. Le gouvernement fédéral impose cette transparence des résultats pour responsabiliser les écoles dans le cadre de la lutte contre les inégalités.

Même avec une définition claire du rôle de l’État fédéral dans la protection des droits civiques des élèves, les responsables des États et le gouvernement fédéral continuent à s'affronter sur l'autorité centrale dans ce domaine, comme en témoigne le récent débat sur la protection des droits des élèves transgenres.

Comment responsabiliser rigoureusement les autorités locales ?

Si les États disposent d’une grande autonomie pour développer leurs propres plans éducatifs, le gouvernement fédéral conserve un pouvoir de contrôle sur les plans et impose aux États de les justifier par des études solides.

Dans le cadre de la nouvelle législation fédérale, les États doivent soumettre leurs plans éducatifs à l'approbation du gouvernement fédéral, qui conserve ainsi un pouvoir de contrôle dont la rigueur peut varier suivant la direction du ministère fédéral de l’Éducation. Ainsi, il est possible de se demander si le gouvernement actuel va se contenter de valider automatiquement les propositions des États ou s’il essaiera d’imposer son ordre du jour à travers ce contrôle.

Même si le contrôle fédéral est relativement limité, la législation fédérale impose toujours aux États de baser leurs plans sur des études solides. Les États doivent élaborer leurs politiques sur la base de critères définis par la législation fédérale. À cet effet, le gouvernement fédéral finance des études solides dans le cadre de l’Institute of Education Sciences (institut des sciences de l’éducation) et gère une base d’études en ligne sur la plate-forme What Works (ce qui marche). En imposant l’utilisation de preuves solides et en appuyant la réalisation et la diffusion d’études, le gouvernement fédéral aide les États à développer des politiques rigoureuses mais avec une certaine flexibilité dans l’élaboration de plans éducatifs.

Comment permettre à tous les acteurs de s’exprimer ?

Dans un système décentralisé, le gouvernement fédéral peut également mettre en place des procédures transparentes pour « renforcer les capacités des acteurs », y compris défavorisés, et leur permettre de participer à la prise de décisions. Le gouvernement de B. Obama, par exemple, imposait aux États de démontrer l’implication d’une longue liste d'acteurs, y compris les organisations de défense des droits civiques, avant d’approuver leur plan éducatif. Le gouvernement de D. Trump a, par la suite, assoupli cette exigence, montrant que les normes fédérales de transparence pouvaient varier selon l’idéologie politique du pouvoir en place.

Le gouvernement fédéral doit également suivre des règles de transparence et permettre l’expression du public. Les règles légalement contraignantes proposées par le ministère de l'Éducation font l’objet d’une période de consultation pendant laquelle tout citoyen peut commenter la proposition. Le ministère de l'Éducation est tenu de répondre à ces commentaires et de préciser si et comment il en a tenu compte au cours de la procédure de révision. Une des propositions a notamment suscité plus de 21 000 commentaires.

Conclusion

Cet article ne saurait être considéré comme une analyse exhaustive des mécanismes de responsabilisation des États par rapport au gouvernement fédéral pour les résultats des étudiants dans un système décentralisé. Les politiques et programmes présentés ici témoignent toutefois de la manière dont un gouvernement central peut promouvoir une éducation publique équitable et de qualité même lorsque les États disposent d’une large flexibilité pour définir leurs systèmes éducatifs et gérer les écoles primaires et secondaires.

L’efficacité du contrôle et des exigences au niveau fédéral dépend de l'autorité et de la légitimité du gouvernement fédéral. Si le gouvernement fédéral n'a pas le pouvoir de sanctionner les écoles ne respectant pas les lois fédérales sur les droits civiques par exemple, l’Office of Civil Rights n'aura pas beaucoup de pouvoir réel. Aux États-Unis, le rôle du gouvernement fédéral dans l’éducation est très controversé, mais le ministère de l’Éducation a jusqu’à maintenant conservé suffisamment d'autorité pour mettre en place les mesures de responsabilisation indiquées. Dans d'autres contextes à l'échelle internationale, il n’est pas évident que le gouvernement central puisse contrôler les autorités locales dans un système décentralisé. C’est une question qui doit être prise en compte dans l’effort mondial visant à assurer une éducation inclusive et de qualité pour tous.

Références 

  • Cohen, D. K., & Moffitt, S. L. (2010). The ordeal of equality: Did federal regulation fix the schools? Harvard University Press.
  • Cohen, D., & Spillane, J. (1992). Policy and Practice: The Relations between Governance and Instruction. Review of Research in Education, 18, 3-49. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/1167296.
  • Finn Jr, C., and Petrilli, M. (2013). The Failures of U.S. Education Governance Today. Education Governance for the Twenty-First Century: Overcoming the Structural Barriers to School Reform, eds. McGuinn, P. and Manna, P.
  • Kaestle, C. (2011). Pillars of the republic: Common schools and American society, 1780-1860. Macmillan.
  • McGuinn, P. (2006). No Child Left Behind and the transformation of federal education policy, 1965-2005. University Press of Kansas.
  • McGuinn, P. (2013). Education Governance in America: Who Leads? Education Governance for the Twenty-First Century: Overcoming the Structural Barriers to School Reform, eds. McGuinn, P. and Manna, P.

 

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