Revoir l'école

Ecrit le 20 avr 17 par

Remise en question des principes de l'école traditionnelle selon la perspective de deux approches d'éducation alternatives : le mouvement international Montessori et le Sistema de Aprendizaje Tutorial, initialement développé en Colombie.

En dépit des efforts déployés à travers le monde pour transformer les pratiques d'enseignement et d'apprentissage afin d'améliorer les résultats des apprentissages, la plupart des caractéristiques fondamentales de l'école traditionnelle ne semblent pas être remises en question. Dans la grande majorité des écoles, les apprentissages se font dans l'enceinte de l'établissement, pas dans la communauté. Les classes sont divisées par âge, avec un groupe d'élèves face à un enseignant. Les élèves suivent un programme qui a été décidé par les autorités éducatives et les enseignants, et qui ne reflète pas nécessairement les sujets qui éveillent leur intérêt ou leur curiosité. Les apprentissages sont souvent dissociés du travail et des activités productives et il est rare qu'ils répondent directement aux aspirations et aux besoins locaux.

Les actions qui visent à améliorer la qualité de l'éducation font en sorte de mieux faire fonctionner ces établissements, pour davantage d'élèves. Mais est-ce vraiment la bonne approche à adopter ? Ou serait-il plus bénéfique pour les élèves de revoir complètement la formation scolaire elle-même ? Catherine Honeyman, de l'IIEP Learning Portal, a débattu de ces questions avec deux invités : André Roberfroid, ancien président de l'Association Montessori Internationale, et Bita Correa, qui nous parle du programme alternatif d'enseignement secondaire Sistema de Aprendizaje Tutorial.

Le présent document est une transcription de la discussion. Cliquez ici pour écouter l'enregistrement audio.

Merci à tous les deux de participer à cette discussion pour l'IIEP Learning Portal. Quels sont, selon vous, les principes fondamentaux de l'école qu'il faudrait revoir ?

André Roberfroid : Il faudrait revoir notre perception de l'enfant : qui il est et ce qu’il est. Jusqu'à présent, l'éducation traditionnelle considère l'enfant comme un vase vide qu'il faut remplir de connaissances et de pratiques. Ce qu'a observé Maria Montessori il y a plus d'un siècle, c'est que l'enfant a un cerveau qui est prêt à commencer à apprendre par lui-même. En réagissant et en interagissant avec son environnement, l'enfant amorce peu à peu son propre développement. Les progrès des neurosciences l'ont également confirmé récemment. Dans ce cadre, l'enseignant ne devrait pas être un maître, mais un guide. Il ne devrait pas être celui qui sait, mais celui qui aide l'enfant à découvrir l'environnement, dans lequel il trouvera des éléments stimulants qui lui permettront de progresser à son rythme et selon ses centres d'intérêts.

Bita Correa : La FUNDAEC, depuis sa création, tente de redéfinir certaines choses. Et, pour commencer, l'une des premières questions à laquelle elle a tenté de répondre est : « Quel est l'objectif de l'éducation ? ». Selon moi, c'est l'un des aspects fondamentaux [qu'il faudrait revoir]. La FUNDAEC définit son objectif pour l'éducation comme celui d'aider réellement les individus à se transformer et à développer leurs capacités, non seulement en réfléchissant sur eux-mêmes mais aussi en réfléchissant à la manière dont cette éducation et ces individus peuvent avoir un impact sur la société dans laquelle ils vivent. Ainsi, d'une certaine façon, l'éducation a l'objectif d'aider réellement les personnes, les individus, à progresser, mais aussi à devenir les agents du changement ou les promoteurs des transformations qu'ils veulent voir dans leur communauté. De cette manière, en redéfinissant vraiment l'objectif de l'éducation, la structure, la méthode de formation et le contenu du programme reflètent le sens de cet objectif.

Pour être un tout petit peu plus concrets, Bita, pourriez-vous nous dire à quoi ressemble une journée ou une semaine classique dans ce système éducatif, et en quoi il est différent d'une école traditionnelle ?

BC : Ce programme a été conçu à l'origine pour les zones rurales de Colombie. Il entendait, d'une part, apporter une éducation de qualité dans ces régions du pays et, d'autre part, veiller à ce que cette éducation réponde aux réalités de la population. Par exemple, nous ne concevons pas le rôle de l'enseignant comme à l'école traditionnelle mais plutôt comme celui d'un « tuteur ». Et un tuteur, idéalement, est une personne qui provient de la même communauté, afin qu'il connaisse la même réalité, mais il reçoit également une formation.

Le programme exige un minimum de 15 à 20 heures d'étude par semaine, mais ce sont les apprenants qui décident comment utiliser ces 15 à 20 heures hebdomadaires. Ils peuvent par exemple choisir de venir trois fois par semaine pendant cinq heures à chaque fois, ou moins longtemps pendant la saison des récoltes ou des plantations. Parfois, leur famille a vraiment besoin d'eux à la maison et donc, dans ce sens, la méthodologie est très souple au niveau des horaires.

Ensuite, en ce qui concerne le lieu, les groupes SAT, comme on les appelle, peuvent vraiment se réunir à tout type d’endroit. Une grande partie du temps est également consacrée à la pratique, à la recherche et au service à la communauté. Ainsi, de nombreuses activités ont lieu en dehors des salles de classe. Qu'il s'agisse d'aller parler à des membres de la communauté ou à des agriculteurs, de faire des exercices pratiques dans le domaine de la santé, de travailler avec de jeunes enfants ou de faire toute autre chose demandée dans un manuel à ce moment-là, une grande partie des 15 à 20 heures hebdomadaires n'est pas uniquement passée à étudier mais aussi à pratiquer ce type d'activités.

André, pouvez-vous aussi nous décrire rapidement le système Montessori, à quoi ressemble une journée classique ?

AR : On peut observer deux grandes différences dans une classe Montessori. La première est celle que l'on appelle la « liberté de choix ». Cela signifie que les enfants font ce qui les intéresse. L'environnement de l'école est construit de telle sorte que tous les éléments qui pourraient être propices au transfert de connaissances et à l'acquisition de capacités sont disponibles dans la salle de classe, mais c'est l'enfant qui décide lequel utiliser et à quel moment. C'est un aspect qui diffère énormément de tout autre environnement scolaire.

La deuxième différence est que nous insistons sur le fait d'avoir des enfants d'âge différent. Traditionnellement, de façon générale, nous les regroupons par tranches de trois ans - 3 à 6 ans, 6 à 9 ans, etc., afin de créer un environnement social dans lequel des enfants d'âge différent communiquent les uns avec les autres, s'entraident et recherchent le soutien ou la collaboration des autres. Cela permet également de créer dans l'école un contexte d'éducation au vivre ensemble, à la communication avec les autres.

Donc, lors d'une journée d'école classique dans une classe Montessori, vous entrez dans une salle où les enfants sont tous très occupés mais où chacun fait quelque chose de différent. L'enseignant ou, comme nous aimons l'appeler, le « guide », observe très attentivement chacun d'entre eux et surveille quel enfant est prêt à utiliser le matériel qu'il souhaite utiliser ou a d'abord besoin d'un peu d'aide ou d'explications. Cela exige de l'enseignant un degré d'attention bien plus élevé que dans une classe traditionnelle. Et vous pouvez voir une classe dans laquelle la relation ne repose pas sur la discipline, mais sur l'intérêt mutuel.

Naturellement, l'une des questions que beaucoup de personnes se posent est de savoir si ce modèle pourrait vraiment être appliqué à grande échelle, en remplacement de l'école traditionnelle. Quel est votre avis sur la question, André ?

AR : Selon moi, la réponse est oui. Je pense que nous avons maintenant suffisamment d'expérience pour démontrer qu'il est possible d'appliquer une approche - je ne dirais pas Montessori, mais centrée sur l'enfant - dans toutes les régions du monde. Néanmoins, l'argument qui est souvent avancé par les ministères de l'Éducation est qu'ils n'en ont pas les moyens. Il y a pourtant des exemples, et je voudrais n'en citer qu'un, celui de l'État du Tamil Nadu, dans le sud de l'Inde. Le ministère de l'Éducation local a décidé qu'il fallait agir pour améliorer la qualité de leur système éducatif. Il a ainsi décidé d'utiliser un système - fortement inspiré du système Montessori, mais portant un autre nom - ABL, pour « Activity Based Learning » ou apprentissage fondé sur les activités, qui met en application les trois éléments principaux de la méthode Montessori, à savoir un enseignant centré sur les enfants au milieu de la classe, la liberté de choix, ainsi que des groupes d'âge multiple. Ils l'ont mis en place dans 47 000 écoles, sans augmenter leur budget mais en trouvant des moyens intelligents de se procurer le matériel, essentiellement lors des ateliers des ministères. Je ne veux pas entrer dans les détails mais simplement prouver que cela est possible, cela peut se faire.

Bita, le Sistema de Aprendizaje Tutorial peut-il être proposé à grande échelle, au grand public, et non uniquement à quelques endroits ?

BC : Absolument. En Colombie, à une époque, le programme SAT comptait plus de 70 000 participants dans le  pays ; ce programme a également été adapté et mis en place dans différentes régions du monde. Une récente étude menée par la Brookings Institution s'est intéressée à cette question de l'élargissement à grande échelle du programme, et ils ont tout particulièrement examiné le programme au Honduras.

Donc, pour répondre à la question : oui, c'est tout à fait possible. Mais, bien sûr, cela dépend de différents facteurs que nous ne pouvons ignorer. Nous ne considérons pas le programme comme un produit qui peut être vendu, mais vraiment comme une manière de répondre aux caractéristiques de différents endroits. Autre chose que nous tâchons de faire : nous essayons d’éviter de lancer le programme avec de nombreux groupes en même temps. Nous démarrons plutôt le processus lentement et laissons quelques groupes mener des projets pilotes, pour voir si le programme s'adapte et aussi pour comprendre les besoins ou les réalités d'un endroit donné, puis, progressivement le programme va se développer.

Une autre question qui doit être prise en compte est celle de la formation des tuteurs. Pour que le programme fonctionne, il est essentiel d'assurer une bonne formation des tuteurs. Si vous ne le faites pas, peu importe ce que vous ferez d'autre, le programme ne fonctionnera pas. Je veux dire qu'il fonctionnera dans le sens où l'on a des manuels, un programme d'enseignement, mais il faut consacrer du temps et de l'attention à la formation des tuteurs.

Vous avez tous les deux évoqué des innovations et des perspectives alternatives très intéressantes pour l'école, mais que répondriez-vous aux personnes qui affirment qu'il faudrait simplement « revenir aux fondamentaux » et se concentrer sur l'enseignement des matières de base telles qu'elles ont toujours été traditionnellement enseignées ?

BC : Là encore, il est important de se rappeler quel est l'objectif de l'éducation. L'une des choses qu'a fait la FUNDAEC est de réfléchir à la notion d'« aptitude ». Que  signifie réfléchir aux aptitudes et aux êtres humains dans leur ensemble ? C'est la manière dont nous avons essayé d'aller au-delà de la dichotomie entre « apprentissage traditionnel » et « apprentissage innovant », en tâchant vraiment de se demander, en tant qu'êtres humains, quelles sont les différentes aptitudes que nous devons développer pour participer efficacement à un monde dans lequel nous ne sommes pas seuls - car nous faisons partie de quelque chose de plus grand, de plus vaste.

AR : Ces dix dernières années, je me suis rendu dans un grand nombre de pays pour rencontrer des pédagogues et j'ai entendu partout : « l'éducation est en crise, elle ne réussit pas ». Parallèlement, j'observe aussi que, dans le monde, la plupart des enseignants sont des personnes compétentes et dévouées qui veulent qu’elle réussisse et, pourtant, elle ne réussit pas. Alors, si vous avez un système comme celui-là, cela a-t-il un sens de dire « je vais utiliser le même système, mais en faire un peu moins » ? Cela n'a pas de sens !

Le problème vient clairement de notre conception erronée du processus d'apprentissage, du processus de développement. Oui, il est très difficile de changer fondamentalement le système. Cela exige de changer très sérieusement notre conception de la relation entre les adultes et les enfants. Et cela touche à des questions de pouvoir, de reproduction des forces sociales, c'est très difficile. Mais si nous ne le faisons pas, les contradictions de la situation actuelle vont prendre une ampleur démesurée.

Un grand merci à tous les deux, vous avez apporté de nouvelles perspectives très intéressantes sur l'école et l'éducation. Merci de les avoir partagées avec l'IIEP Learning Portal.

BC : Merci de m'avoir permis de participer et d'avoir ouvert cet espace de dialogue.

AR : Merci beaucoup. Je pense qu'il faudrait d'autres occasions comme celle-ci de mettre le problème sur la table. Je vous remercie pour cela.

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