Lorsqu'ils cherchent à améliorer les systèmes éducatifs, les décideurs politiques et les partenaires du développement ont tendance à se concentrer principalement sur le niveau central et celui de l’école. Cependant, il existe une variété d'acteurs entre ces deux niveaux dont le travail passe inaperçu : les acteurs du niveau intermédiaire.
Qui sont les acteurs du niveau intermédiaire ?
Dans les travaux de l'Institut international de planification de l'éducation de l’UNESCO (IIPE), l'échelon intermédiaire fait référence aux niveaux du sous-district, du district ou de la région des systèmes éducatifs. En d'autres termes, à cet "endroit désordonné" entre les écoles et le niveau central. Les acteurs du niveau intermédiaire sont responsables de la mise en œuvre et du suivi de la politique éducative nationale au niveau local. Il s'agit notamment des bureaux locaux d'éducation, des autorités locales élues - par le biais de leurs départements d'éducation -, des chefs d'établissement coordonnant des réseaux d'écoles, des superviseurs, des conseillers pédagogiques et d'autres acteurs.
Dans le contexte de la crise de l'apprentissage, le niveau intermédiaire est de plus en plus considéré comme un levier essentiel pour renforcer l'efficacité des systèmes éducatifs et améliorer les résultats d'apprentissage. Les ministères de l'éducation cherchent à doter les professionnels du niveau intermédiaire des compétences et capacités nécessaires pour mieux soutenir les écoles et les enseignants.
C'est le cas du ministère de l'Éducation du Guyana, qui a approché l'IIPE en vue de concevoir et de mettre en œuvre un programme visant à développer les capacités des responsables régionaux de l'éducation, des responsables d'éducation pour le district et des planificateurs centraux pour aider les écoles à concevoir, mettre en œuvre et suivre leurs plans d’amélioration. Le cours en ligne "Soutenir les plans d’amélioration des écoles au Guyana" s’est appuyé sur l'expertise de longue date de l'IIPE sur l’implication des acteurs locaux dans l'amélioration de la qualité de l'éducation.
Améliorer la qualité des écoles et les résultats d'apprentissage grâce aux plans d’amélioration des écoles
A travers son Plan Sectoriel de l’Education (PSE) 2021-2025, le Guyana a pris des engagements forts pour améliorer les résultats d'apprentissage et promouvoir l'équité. De nombreux enfants sont confrontés à des problèmes considérables en termes d'accès, d'équité et de qualité de l’éducation. 15 % des enfants d'âge pré-primaire sont exclus du système, en particulier ceux des quintiles de richesse inférieurs. Les taux nets de scolarisation sont plus élevés pour les filles que pour les garçons, notamment dans l'enseignement secondaire, tandis qu'une proportion importante d'enfants en situation de handicap n'a jamais été scolarisée (en moyenne, 11 % dans cinq régions du pays). En outre, la crise humanitaire au Venezuela a entraîné l'arrivée d’un nombre important d'enfants réfugiés qui ont dû être placés dans des écoles guyanaises, créant ainsi des demandes supplémentaires auxquelles le système éducatif doit répondre.
Le Guyana a développé un cadre de décentralisation qui repose sur un partage des responsabilités entre le ministère de l'éducation central, les bureaux d'éducation régionaux et de district - qui agissent en tant que bras techniques du conseil démocratique régional (RDC), l'organe du gouvernement local chargé de gérer et d'administrer la région - et les écoles. Un axe stratégique prioritaire du PSE vise à renforcer la gestion au niveau de l'école, en donnant à celles-ci les moyens de développer leurs propres plans d'amélioration. Les bureaux d'éducation régionaux et de district ont un rôle crucial à jouer dans ce processus, avec pour mission de guider et de soutenir les écoles dans la conception, la mise en œuvre et le suivi de ces plans. L'objectif final est d'améliorer la gestion des écoles et les résultats d'apprentissage.
Un programme sur mesure de renforcement des capacités sur les plans d'amélioration des écoles
Le cours en ligne de l'IIPE s'est adressé à 50 responsables de l'éducation de 11 régions du Guyana, dont des responsables régionaux de l’éducation, des responsables d’éducation pour le district, des planificateurs centraux et des inspecteurs, sur une période de huit semaines. Il a abordé les thèmes de la décentralisation de l'éducation, du rôle central joué par les acteurs de niveau intermédiaire dans un écosystème d'acteurs au niveau local, et du rôle clé qu'ils jouent dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des plans d'amélioration des écoles.
Le cours a encouragé la collaboration entre les professionnels du niveau intermédiaire du pays, en favorisant l'apprentissage par les pairs. Dans l'ensemble, les participants ont apprécié l'expertise de l'IIPE et ont déclaré que le cours avait grandement contribué à les doter de connaissances plus techniques et d'outils applicables pour mieux soutenir l'amélioration des écoles dans leurs régions:
Le contenu du cours sera utilisé dans tous les aspects de mes fonctions et responsabilités, en particulier dans la formulation, la mise en œuvre et le suivi des SIP [school improvement plan, plan d’amélioration de l’école]. [Il me permettra d’] aider les gestionnaires, les enseignants et les autres parties prenantes à comprendre leurs rôles et responsabilités afin d'améliorer les performances et les contributions au développement de ces mêmes personnes" (participant au cours).
Apprendre par la pratique : le rôle crucial joué par les acteurs de niveau intermédiaire pour soutenir l'amélioration des écoles
Grâce à des forums de discussion et des sessions de groupe ‘live’, le cours a permis d'identifier les caractéristiques spécifiques des acteurs de niveau intermédiaire au Guyana, leur mandat et les défis auxquels ils sont confrontés pour remplir leur mission avec succès.
Au Guyana, comme dans d'autres pays, le mandat des acteurs de niveau intermédiaire est vaste et s'est élargi au fil du temps. Les responsabilités comprennent le pilotage de la qualité de l'éducation dans leurs régions, la collecte de données, guider et soutenir les écoles, ainsi que la gestion du personnel enseignant. Cependant, ils sont confrontés à un certain nombre d'obstacles pour remplir efficacement leur mandat :
- Relation avec les autorités du niveau supérieur : Dans le cadre de la décentralisation de l'éducation au Guyana, les responsables régionaux de l’éducation rendent des comptes à la fois au Ministère de l'Education et au RDC. Les responsables régionaux de l’éducation mettent en œuvre et contrôlent la politique nationale d’éducation conformément au mandat du ministère de l’Éducation, dans le cadre des priorités du RDC. Le problème se pose lorsque les ressources humaines et financières allouées par le RDC ne sont pas en adéquation avec les besoins éducatifs de la région et la politique éducative nationale, en particulier dans les régions de l'arrière-pays et fluviales.
Nos départements d'éducation sont gérés et financés par les RDC dont le personnel technique et professionnel ne considère pas forcément la prestation de services éducatifs comme une priorité. Ce manque d'importance accordée aux résultats de l'éducation entraîne souvent un détournement et une mauvaise allocation des ressources financières. (Directeur adjoint de l'éducation)
- Relations avec les écoles : La conduite d'inspections scolaires et d'évaluations formatives font partie des rôles des acteurs de niveau intermédiaire. Cependant, les agents locaux ne sont pas toujours bien au fait des objectifs de l’évaluation ni des outils pouvant être utilisés pour piloter la qualité de l'éducation. Cela conduit à une faible compréhension commune entre les responsables d’éducation pour le district, les directeurs d'école et les enseignants, sur le but des visites d'école et le soutien que les acteurs du niveau intermédiaire peuvent apporter pour améliorer la qualité de l'école.
- Relations avec les parents : Les parents sont des acteurs clés de l'amélioration de l'école mais sont difficiles à impliquer au Guyana dans la mise en œuvre de la stratégie locale d'éducation. Bien qu’ils soutiennent financièrement les écoles, leur manque de temps et leur faible implication dans le processus de décision au sein de l'école les amènent à avoir, d’une part, peu d'attentes quant à l'impact de l'école sur le développement de leurs enfants et, d’autre part, limitent leur contribution à l'amélioration des écoles.
Les parents voient l'école comme une institution où la responsabilité d'éduquer incombe aux chefs d'établissement et aux enseignants uniquement, ils ne se considèrent pas comme des parties prenantes. (Responsable de l'éducation du district)
- Structure et profil des bureaux d’éducation régionaux : A travers le Guyana, les bureaux d'éducation régionaux partagent des structures et des fonctions similaires dans toutes les régions, sans que celles-ci prennent compte de leurs particularités (par exemple, la disponibilité du personnel dotés de l’expertise requise pour aider les enfants réfugiés, ou la présence d’élèves en situation de handicap dans certaines régions). Les bureaux d'éducation régionaux sont souvent en sous-effectif, ce qui les amène à prendre des responsabilités supplémentaires pour lesquelles ils n'ont pas toujours les capacités techniques. Cette situation, ainsi que le manque de formation régulière adaptée aux besoins spécifiques, se concentrant sur des compétences générales, d'auto-évaluation et de culture d'apprentissage par les pairs, limitent leur potentiel à devenir de véritables agents de changement.
En de nombreuses occasions, les services sociaux des écoles sont débordés. Ainsi, l'intervention des responsables régionaux de l'éducation est régulièrement demandée et, en plus, ils doivent jouer le rôle de responsables de l'orientation et du conseil. (Responsable régional de l'éducation)
Comme dans de nombreux autres pays, le cas guyanais montre que les acteurs de niveau intermédiaire jouent un rôle essentiel dans le système éducatif, faisant le lien entre les acteurs du niveau central et ceux du niveau scolaire, comblant les écarts entre la politique et la pratique, et garantissant de meilleurs résultats d'apprentissage. Cependant, bien que les acteurs du niveau intermédiaire soient censés jouer un rôle plus important dans la gestion et le soutien pédagogique, ils manquent souvent des ressources et capacités nécessaires pour remplir avec succès un mandat exigeant.
Bénéficiant d’une forte expertise à ce sujet, l’IIPE vise à poursuivre comme axe stratégique le renforcement des capacités au niveau intermédiaire, afin de donner à ces professionnels les moyens d’appuyer les écoles dans l’amélioration des résultats d'apprentissage, de conduire des réformes innovantes, et de remplir leur mission en tant qu'acteur clé des écosystèmes d'apprentissage au niveau local.
Candy Lugaz est spécialiste de programme à l'IIPE. Elle coordonne le travail de l'IIPE sur la décentralisation de l'éducation et a dirigé ce cours en ligne sur la planification de l'amélioration des écoles en Guyana.
Daniela Uribe Mateu est économiste et a de l'expérience dans l'analyse des politiques, l'utilisation et la promotion de l'élaboration de politiques fondées sur des preuves, et la mise en œuvre d'interventions publiques dans le secteur de l'éducation.