Les villes sont au cœur de la conception et de la mise en œuvre de stratégies efficaces pour garantir l'accès universel à une éducation de qualité sur leur territoire.
Comment les villes peuvent-elles planifier et gérer l'éducation pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), notamment l'ODD 11 (villes et communautés durables) et l'ODD 4 (assurer à tous une éducation de qualité) ? Ce billet de blog, le deuxième d'une série présentant le programme de recherche IIPE-UNESCO Défis locaux, impératifs mondiaux : Les ville au premier plan pour réaliser l’Agenda Éducation 2030, examine le rôle clé que joue la capitale des Philippines dans la planification et la gestion de l'éducation dans ce pays.
L'étude a été menée par le Centre for Neighbourhood Studies (CeNS) en étroite collaboration avec les autorités de Manille et nos partenaires de recherche, l'Université de Glasgow et le Centre for Sustainable Healthy Learning Cities and Neighbourhoods (SHLC). Comme pour l'étude sur Kigali, nous avons organisé un webinaire de diffusion pour partager les principaux enseignements tirés du travail sur le terrain. Plus de 60 acteurs clés de l'éducation ont participé, notamment des membres des autorités municipales, des conseillers, des responsables locaux de l'éducation et de l'aide sociale, des urbanistes, ainsi que des membres du personnel enseignant et non-enseignant.
Ce webinaire a permis à toutes les parties prenantes de discuter des principaux défis et opportunités lors de la conception, de la mise en œuvre et du suivi de la stratégie d'éducation de la ville, en particulier dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Les présentations ont exploré les domaines critiques de l'amélioration de la qualité de l'éducation ainsi que les stratégies permettant d'atteindre avec succès les futurs objectifs de la ville en matière d'éducation.
Responsabilités de Manille dans l’éducation
Capitale des Philippines, Manille est la deuxième ville la plus peuplée du pays après Quezon, avec une population de 1,8 million d'habitants. Manille figure depuis plusieurs années parmi les 20 villes les plus peuplées du monde sur la base de la densité de population et a été classée vingtième ville la plus peuplée en 2021. Le choix de Manille pour cette recherche a été motivé par le fait que la ville possède le plus grand nombre d'établissements d'enseignement du pays et que des innovations ont été récemment démontrées dans les infrastructures éducatives locales.
Aux Philippines, l’offre de services éducatifs et leur financement sont confiés aux unités gouvernementales locales (UGL) en coordination avec les unités déconcentrées du département national de l'éducation (DepEd). La ville de Manille, en tant qu'unité gouvernementale locale, est responsable de l'éducation de la petite enfance par l'intermédiaire du service de la protection sociale de Manille. En revanche, les bureaux régionaux et les bureaux de division scolaire (School Division Offices, SDO), qui représentent le DepEd au niveau local, gèrent l'enseignement primaire et secondaire au niveau de la région et de la ville en coordination avec l'administration de la ville. Ils fournissent ainsi des infrastructures, des ressources pédagogiques et didactiques, du personnel non enseignant et des programmes de subvention aux élèves. Ils coordonnent avec l'administration locale la mise à disposition d'infrastructures, de ressources d'apprentissage et d'enseignement, de personnel non enseignant et de programmes de subvention pour les élèves.
Le SDO de Manille, avec le Local School Board (LSB) (Conseil scolaire local de la ville), sont les principales autorités gouvernementales pour l'éducation de base au niveau de la ville. Le SDO gère les écoles et les centres d'apprentissage de Manille et fixe des normes au niveau local pour garantir la qualité des services d'éducation de base. Le LSB, présidé par le maire de la ville et le chef du SDO, gère le Special Education Fund (SEF) (Fond éducatif spécial), qui constitue l'aide financière supplémentaire de la ville pour couvrir l'entretien et la gestion de l’école en termes d'infrastructure, de connectivité et de santé (examens annuels pour les enseignants). Le LSB est responsable de la préparation, de l'allocation et du décaissement du SEF. Il a son mot à dire sur l'utilisation du budget local pour l'éducation, ainsi que sur la nomination des responsables de l'éducation.
Enfin, la ville de Manille travaille en étroite collaboration avec les fonctionnaires du SDO pour le recrutement de professionnels enseignants et non enseignants. Il s'agit notamment d'organiser des sessions de formation pour le personnel des écoles et les responsables de l'éducation.
L'utilisation des données et le travail collaboratif : les points forts de la stratégie de Manille
Les planificateurs de l'éducation de la ville utilisent diverses sources de données et outils pour formuler des plans et des stratégies d'éducation au niveau local. Le système d'information sur la gestion de l'éducation de Manille, les projections et les indicateurs de performance, ainsi que les consultations avec les principales parties prenantes des écoles, ont été essentiels à la formulation des plans d'amélioration des écoles et de la préparation des plans de continuité de l'apprentissage. La stratégie locale en matière d'éducation est alignée sur le plan de développement de la ville et s'adapte aux crises et aux imprévus. Il s'agit d'un atout important, car il facilite le soutien administratif, la mobilisation des ressources et les réponses opportunes aux changements inattendus.
La collaboration entre les parties prenantes dès la conception de la stratégie s'est avérée essentielle. Le SDO de Manille et les écoles entretiennent des relations transparentes avec les membres de la communauté et des partenariats solides avec les organisations non gouvernementales. L'engagement des parents, des associations de parents d'élèves et de leurs communautés a été déterminant dans la mise en œuvre, et l’appropriation locale, des initiatives en matière d'éducation.
S'il y a une chose que j'admire vraiment (de la part) du gouvernement de la ville, c'est son ouverture à la collaboration entre partenaires. [Même avant la] pandémie, le ministère de l'Éducation et le gouvernement de la ville ont vraiment fourni une plateforme pour le partage des bonnes pratiques et la collaboration afin de mettre en synergie nos ressources (représentant d'une Organisation de la société civile ).
Mise en œuvre de la stratégie de Manille en temps de crise
La crise sanitaire a affecté la planification et la gestion de l'éducation au niveau local. La ville a alloué des fonds supplémentaires à l'éducation pour atténuer l'impact de l’épidémie de COVID-19 sur les apprentissages. Ces fonds ont permis de financer la production de modules d'auto-apprentissage, de manuels, de fiches d'activité, de guides d'étude, ainsi que la connectivité et le matériel pour rendre l'enseignement à distance plus accessible aux enseignants et aux élèves.
La ville a lancé plusieurs réformes pour soutenir l'accès des élèves à l'apprentissage en ligne. Par exemple, le SDO de Manille a développé des interventions clés au niveau des écoles en coordination avec le ministère de l'Éducation dans le cadre de l'éducation de base - plan de continuité de l'apprentissage (BE-LCP) concentré sur l'élimination des obstacles à l'apprentissage liés à la pandémie. La réponse locale s'est concentrée sur l'alignement du matériel pédagogique, l'adaptation du programme scolaire et le déploiement de différentes modalités d'enseignement à l’apprentissage en ligne, tout en soutenant les parents et en formant les enseignants à s'adapter à ces nouvelles modalités d’enseignement. Pour relever les défis sociaux et économiques supplémentaires résultant de la crise, la ville a également restructuré ses programmes d'alimentation et de nutrition.
Pendant la pandémie (...) le nombre de nos élèves a augmenté [peut-être parce qu'ils] ont découvert que la ville fournirait des outils technologiques. Les élèves des écoles privées ont été transférés dans les écoles publiques de la ville, et pas seulement dans notre école.
La ville de Manille est également extrêmement vulnérable aux risques climatiques, aux catastrophes naturelles et aux événements météorologiques, qui peuvent chacun affecter le système éducatif. Cela se traduit par des baisses temporaires d'inscriptions. Celles-ci sont dues au déménagement des élèves lorsque leurs maisons sont menacées par des inondations ou des incendies. Pour anticiper ces situations, les autorités de la ville préparent de plans de gestion des risques et des catastrophes ainsi que des stratégies visant à atténuer l'impact du changement climatique sur les infrastructures éducatives.
Internaliser les défis de la mise en œuvre de la stratégie de la ville
Une attention spécifique est portée à la continuité de la stratégie locale cependant, comme dans d'autres territoires, ceci se confronte à la durée des mandats politiques locaux. Les autorités locales gouvernent pour une courte période, généralement la moitié de la durée du plan d'éducation de la ville, ce qui crée un décalage entre l'année scolaire et le calendrier budgétaire et fiscal de la ville. Par conséquent, certains projets n'atteignent pas leur plein potentiel pour répondre de manière adéquate aux besoins des élèves et des enseignants, ou subissent des retards dans le décaissement des ressources.
En outre, malgré l'existence d'un cadre national que les villes peuvent adopter pour mettre en œuvre leurs propres mécanismes de suivi et d'évaluation, Manille dispose d'un système de suivi et d'évaluation fragmenté qui manque de clarté pour les programmes en cours de mise en œuvre. Le personnel municipal redirige souvent ses demandes vers le SDO ou vers des bureaux extérieurs à la mairie et, à l'heure actuelle, aucune évaluation de programme n'a été entreprise sous le mandat d'une agence locale, régionale ou nationale. L'évaluation s'est limitée à la gestion du SEF, à des évaluations par le biais de réunions de consultation et s'est concentrée uniquement sur les résultats de l'éducation plutôt que sur la réalisation des objectifs et l'impact global de la stratégie locale.
(...) Plusieurs programmes visant à améliorer la qualité de l'éducation de base ont été mis en œuvre dans la ville, mais ils n'ont pas fait l'objet d'un suivi adéquat. Parfois, aucune évaluation de programme n'est effectuée. (Représentant du SDO)
Conclusion
Les échanges occasionnées par ce webinaire autour des résultats de la recherche Défis locaux, impératifs mondiaux : Les ville au premier plan pour réaliser l’Agenda Éducation 2030 constituent un atout pour les urbanistes et les parties prenantes de Manille, ainsi que pour les autorités municipales et les gestionnaires de l'éducation dans des contextes similaires, afin de continuer à apprendre sur la dynamique locale de la planification et de la gestion de l'éducation. La réflexion sur les stratégies locales, ainsi que sur les rôles des différents acteurs impliqués, en particulier en temps de crise, contribue à éclairer les actions futures visant à atteindre l'ODD 4 au niveau local.
Remerciements
Ce projet a été mené par Mario Delos Reyes et l'équipe du Centre for Neighbourhood Studies (CeNS) Philippines : Rosa Bella Quindoza, Mark Anthony Gamboa, Angelina Caluag, Irish Manlapas, Aira Ruth Caluag, Rhay Daniel Racoma, Samantha Roze Samin, et Kit Kat De Guzman, en collaboration avec le gouvernement de la ville de Manille, School Division Office-Manila et ses personnes de contact, Andrei Pacheco et Aaron Tolentino (SDO-Manila), Yulia Nesterova et Michael Osborne (University of Glasgow, School of Education), Candy Lugaz, Daniela Uribe Mateu, Elena Klein et Helen Weir (IIPE-UNESCO).
Nous sommes particulièrement reconnaissants à nos collègues des Philippines pour les efforts considérables qu'ils ont déployés dans le cadre de ce travail, qui a été financé par le Fonds d'accélération du développement des capacités du SHLC. Le SHLC a été financé dans le cadre du Global Challenges Research Fund (GCRF) par la subvention ES/PO11020/1 de UK Research and Innovation (UKRI).