Cet article a été publié pour la première fois sur le blog de l'UKFIET
Ce billet de blog a été rédigé par Le Thu Huong et Teerada Na Jatturas, de l’UNESCO. Le Thu Huong est spécialiste de programme à la Section de la politique éducative de l’UNESCO. Elle est notamment spécialiste de l’analyse et de la planification des politiques socioéconomiques et éducatives et des aides au développement en matière de développement international de l’éducation. Teerada Na Jatturas est titulaire d’un Master of Philosophy (MPhil) en communications numériques de l’Institut de recherche en communication et médias de l’Université de Westminster, au Royaume-Uni, où elle a présenté sa thèse sur les droits numériques des internautes à risque. Elle est actuellement consultante à l’UNESCO, où elle analyse les questions d’éducation et de technologie pour les éducateurs.
Le recours aux évaluations en ligne remonte aux années 1960, mais son adoption en tant que modalité d’évaluation de l’apprentissage reste assez limitée à un certain nombre de contextes et de niveaux d’éducation. Les possibilités d’exploration, d’apprentissage et d’adaptation sont donc encore nombreuses dans ce domaine. Dans ce billet de blog, nous allons réfléchir à l’utilisation élargie de l’évaluation en ligne, à ses conditions et à son potentiel pour favoriser l’enseignement et l’apprentissage face à d’importantes restrictions du fonctionnement normal des écoles, par exemple dans le cadre de la pandémie de COVID-19.
Qu’est-ce que l’évaluation en ligne ? Dans le domaine de l’éducation, l’évaluation en ligne (également appelée évaluation informatisée ou au format numérique, ou encore évaluation assistée par ordinateur) désigne l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), souvent accompagnées d’outils d’évaluation en ligne, à des fins éducatives. Elle met l’accent sur l’interaction entre l’élève et l’ordinateur au cours de l’évaluation, en faisant appel aux TIC pour le passage de l’examen et l’envoi d’appréciations. Elle peut servir à la fois de test d’acquisition des apprentissages, qui mesure la maîtrise des contenus pédagogiques par l’élève, et de test d’aptitude, utilisé pour déterminer si ce dernier peut intégrer des parcours éducatifs spécifiques, par exemple dans l’enseignement technique et professionnel ou dans des programmes de formation. Elle peut également être réalisée sous la forme de contrôles (évaluation formative) ou d’examens (évaluation sommative).
Les avantages
Le recours à des évaluations assistées par ordinateur en remplacement des contrôles et examens traditionnels dans une salle de classe ou d’examen surveillée a plusieurs avantages : flexibilité du lieu de passage du test, affichage plus rapide des résultats, respect de l’environnement, puisque la procédure est dématérialisée, et économies notables en matière de ressources humaines, de frais logistiques et de coûts administratifs pendant l’organisation et la notation des contrôles et examens. Certains auteurs, par exemple Ridgway, McCusker et Pead (2004) soulignent également certaines possibilités offertes par les évaluations en ligne pour :
- aider les élèves à apprendre (entre autres grâce à des interfaces conviviales, à des tests sous la forme de jeux, à des simulations qui rappellent l’environnement d’apprentissage et les activités de loisirs, à un retour immédiat pour les élèves et à la facilitation de projets de travail en groupe) ; et
- améliorer la mesure des acquis des apprenants (en particulier pour les compétences numériques ou de résolution de problèmes).
Tout en gardant une position neutre sur les bénéfices ou non de l’évaluation en ligne pour l’apprentissage des élèves, nous présentons ici quelques observations qui démontrent une tendance constante à l’adoption de l’évaluation en ligne dans des pays ayant obtenu un indice d’adoption du numérique moyen à élevé.
Les difficultés
Malgré son adoption dans certains pays (par exemple l’Australie, la Belgique, l’Égypte, l’Estonie, l’Allemagne, l’Italie, l’Inde, la Jordanie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Tunisie, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et les États-Unis, selon nos données), l’évaluation en ligne n’y est pas mise en œuvre de manière universelle pour tous les niveaux d’éducation. Cela s’explique principalement par des coûts d’investissement élevés, par la « fracture numérique » et par le manque de savoir-faire technique, mais aussi par des problèmes de respect de la vie privée en ligne et d’accès ou d’utilisation non autorisés de données personnelles (Marias et al. 2006). Dans le secteur de l’éducation, les problèmes de cybersécurité peuvent se traduire par des intrusions dans le serveur web et l’infrastructure centrale, par des algorithmes qui portent atteinte aux données des apprenants et par des erreurs d’authentification des élèves et d’emplacement de l’évaluation. En outre, comme tous les élèves et enseignants ne maîtrisent pas les systèmes d’examen en ligne (Alruwais 2018), la tâche qui les attend est particulièrement ardue : en plus de passer une évaluation en ligne, ils doivent régler des problèmes informatiques qui surviennent pendant l’évaluation sur ordinateur.
Expériences de mise en œuvre de l’évaluation électronique dans les pays
En examinant l’expérience des pays en matière d’évaluations en ligne, nous avons constaté que ces dernières étaient surtout adoptées dans les pays à revenu élevé et dans l’enseignement supérieur. Les avantages de l’évaluation en ligne ne sont pas automatiques. Il faut encore qu’un certain nombre de conditions soient réunies, notamment :
Bon état de préparation de l’infrastructure, de la connectivité et des utilisateurs finaux. La possibilité d’accéder à une infrastructure électrique fiable, à une connexion Internet et à des outils informatiques est primordiale pour mettre en place des évaluations en ligne. Les expériences nationales examinées jusqu’à présent ont montré l’importance d’éléments contextuels, tels que la compatibilité technologique, la fiabilité du système, la communication claire, la logistique et l’aide apportée aux élèves et étudiants lors de la mise en œuvre des évaluations en ligne. Ce phénomène est particulièrement présent en Inde, aux Émirats arabes unis et au Royaume-Uni, où les élèves éprouvent soit des difficultés psychologiques au moment de passer des examens sur papier aux examens dématérialisés, soit des difficultés techniques pendant les examens en ligne, alors qu’ils vivent dans des pays disposant d’une technologie relativement avancée. Des enseignants comme des élèves sont peu disposés à passer et faire passer des examens en ligne en raison de leurs compétences limitées en TIC (par exemple en Jordanie) ou d’un accès inadéquat à des appareils numériques (par exemple en Australie et en Inde). Pour résoudre ce problème, une formation à l’évaluation en ligne peut être proposée, comme en Estonie, où des examens blancs sont organisés pour les élèves.
Protection de la vie privée et de la sécurité en ligne. La question du respect de la vie privée des élèves ne se pose pas uniquement du point de vue des normes sociales ou de la culture, mais aussi dans le cadre de la sécurité au sein de l’espace virtuel. La vie privée et la sécurité des élèves en ligne doivent donc être protégées contre des accès non autorisés (c’est-à-dire venant de tiers, par exemple des publicitaires ou des attaques). Puisque les évaluations en ligne passent par des plateformes et/ou des logiciels d’entreprises technologiques, ces dernières peuvent exploiter un grand nombre de données appartenant aux administrateurs de l’examen et aux élèves. Les entités publiques et privées du secteur de l’éducation doivent veiller à ce que les mesures de sécurité numérique, comme le chiffrement de bout en bout et des lois strictes de respect de la vie privée (notamment le règlement général sur la protection des données, ou RGPD, et le règlement COPPA sur la protection de la vie privée des enfants en ligne) soient mises en place afin de garantir le respect de la vie privée des élèves.
Vérification de l’intégrité du travail scolaire. Recourir à une surveillance en ligne tout au long de l’examen peut être un moyen d’empêcher la triche. Les surveillants à distance, une fonction qui est en général externalisée dans un pays tiers et assurée en ligne, sont considérés comme une solution pour résoudre le problème des fausses authentifications et pour localiser les apprenants. Cependant, il faut trouver un juste milieu entre la nécessité d’authenticité et les droits des élèves au respect de leur vie privée, sans être surveillés. Le rôle de la surveillance en ligne doit être strictement limité à la détection de logiciels non autorisés sur les ordinateurs des élèves, au suivi des styles de saisie et au contrôle de la présence de personnes non autorisées sur le lieu de l’examen, avec l’aide de la reconnaissance faciale par intelligence artificielle (AI). Cela permet de veiller à ce que la maîtrise du sujet par les élèves soit évaluée de manière équitable, tout en empêchant l’usurpation d’identité et le plagiat, en particulier dans le cadre de l’apprentissage à distance. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Arabie saoudite et les États-Unis ont eu recours à des surveillants en ligne pour lutter contre le risque de malhonnêteté de la part des élèves pendant les examens en ligne.
Une occasion de se transformer
La pandémie de COVID-19 a clairement accéléré la transformation de l’enseignement et de l’apprentissage à distance de manière inédite. En est-il de même pour les évaluations ? Cet examen rapide des différentes expériences de mise en œuvre de l’évaluation en ligne dans les pays révèle que le développement des TIC peut bouleverser l’évaluation des apprentissages à plusieurs titres :
- Rendre les évaluations continues et accessibles : quelles que soient l’ampleur et la durée de l’interruption des apprentissages au sein des établissements scolaires, les évaluations en ligne peuvent être menées partout, ce qui permet aux élèves de pratiquer et de recevoir rapidement des appréciations pendant une durée dédiée et en dehors de cette période.
- Rendre l’évaluation plus authentique (en enseignant aux élèves à faire preuve d’une plus grande résilience mentale face aux changements dans leur vie scolaire, professionnelle et privée) : essentiellement, l’évaluation électronique peut aider les enseignants à diagnostiquer les lacunes d’apprentissage des élèves et à proposer un apprentissage personnalisé en faisant des appréciations rapides et pertinentes aux élèves, qui les aident à atteindre leurs objectifs d’apprentissage.
- Automatiser les évaluations : la notation assistée par l’IA contribue à réduire la charge de travail des enseignants, qui doivent régulièrement corriger chaque semaine des centaines de contrôles ou d’examens, et qui manquent souvent de temps pour le faire. Cette innovation peut éliminer les biais humains tout en faisant en sorte que les notes puissent être comparées avec les évaluations corrigées manuellement. Cependant, ce procédé doit être supervisé par des humains pour que l’équité soit garantie tout au long de l’examen.
- Aller plus loin que le programme : il existe un lien entre les approches systémiques de l’évaluation en ligne et leurs implications pédagogiques. Par conséquent, l’intégration des TIC dans le domaine de l’éducation que permettent les évaluations de l’apprentissage est aussi l’occasion d’approfondir les connaissances issues des manuels, en invitant les apprenants à s’adapter à l’apprentissage tout au long de la vie.