Chronologie : l'enseignement multilingue en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Ecrit le 25 mai 15 par Catherine Honeyman
Langue d'enseignement

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, plus de 400 langues locales ont servi à l'enseignement initial en langue maternelle, mais le pays a récemment décidé de revenir à l'anglais.

En plus de ses trois langues officielles, la Papouasie-Nouvelle-Guinée compte plus de 800 langues locales vivantes, qui sont parlées par de petites communautés dispersées dans les différentes régions du pays. À son indépendance en 1975, la grande majorité de ces langues étaient uniquement orales.

La Constitution de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (1975) considère la diversité culturelle et linguistique de la nation comme une force. À partir de 1976, les écoles ont été légalement autorisées à employer les langues vernaculaires durant les deux premières années de primaire si cela était nécessaire pour certaines explications, mais le gouvernement ne finançait que des enseignants anglophones et des outils dans cette langue, ce qui a fait de l'anglais la langue d'enseignement standard. Cependant, certaines communautés ont commencé à avoir le sentiment que l'enseignement en langue anglaise écartait les enfants de leur culture. Avec le soutien d'églises et d'ONG, ils ont mis en place des écoles maternelles en langue locale appelées « Viles Tok Ples Priskuls ». Les provinces n'ont pas tardé à reconnaître officiellement cette démarche qui, en 1986, bénéficiait d'un appui technique et financier au niveau national.

Grâce aux efforts de communautés, d'églises, d'ONG et du gouvernement, plus de 400 langues vernaculaires ont été progressivement introduites dans les écoles élémentaires. Pour ce faire, la plupart des communautés ont dû intégralement créer un système d'écriture de ces langues. Elles ont pour cela participé à des « ateliers de création d'un alphabet », co-financés par le ministère de l'Éducation, des universités nationales et des ONG (en particulier SIL International). L'adoption d'une approche pragmatique a permis de proposer du matériel de lecture supplémentaire, sous la forme de livres pré-illustrés que les communautés pouvaient compléter par des histoires traduites dans la langue vernaculaire.

Bien qu'il n'y ait pas eu d'essai contrôlé randomisé formel ou d'étude à long terme de la réussite scolaire des élèves des écoles Tok Ples, la Papouasie-Nouvelle-Guinée était généralement considérée comme un exemple remarquable de réussite d'un système d'enseignement bilingue fondé sur la langue maternelle dans un contexte multilingue très compliqué. [1]

Ce programme n'allait cependant pas sans difficultés. À partir de 2000, des rapports ont commencé à indiquer que la formation des enseignants des écoles élémentaires n'était pas suffisante par rapport à leurs responsabilités, en particulier concernant l'apprentissage de la lecture et de l'écriture de la L1 et le passage à l'anglais en L2. Les outils pédagogiques et le matériel de lecture supplémentaire ont aussi été jugés insuffisants, et les communautés n'ont pas gardé l'élan qu'elles avaient au début pour développer leurs propres outils. Peut-être plus important encore, certains parents et communautés ont semblé avoir changé d'avis quant à l'intérêt de l'enseignement en langue maternelle.

Le point de vue d'un parent

Lorsque nos enfants vont à l'école, ils vont dans un lieu étranger. Ils laissent leurs parents, leurs jardins, tout ce qui fait leur mode de vie. Ils s'assoient dans une classe et apprennent des choses qui n'ont rien à voir avec l'endroit d'où ils viennent. Plus tard, comme ils n'ont appris que des choses étrangères, ils rejettent les leurs...

Aujourd'hui, mon fils va à l'école tok ples. Il ne part pas de chez lui. À l'école, il apprend sur ses coutumes, sur son mode de vie. Aujourd'hui, il peut tout écrire en tok ples, pas seulement ce qu'il voit, mais aussi ce qu'il pense. Et il écrit sur ce qui se passe chez lui. Il écrit qu'il aide sa mère à porter de l'eau, qu'il va au jardin. Écrire ces choses les rendent importantes pour lui. Il ne se contente pas de lire et d'écrire sur ce qui se passe ailleurs, en lisant et en écrivant, il apprend à être fier de notre mode de vie. Quand il sera grand, il ne nous rejettera pas. Il est important d'apprendre à nos enfants à lire et écrire, mais il est encore plus important de leur apprendre à être fiers d'eux et de nous.

Parent de la province des Îles Salomon du Nord. Extrait de L. D. Delpit and G. Kemelfield, "An Evaluation of the Viles Tok Ples Skul Scheme in the North Solomons Province.," (Waigani, Papouasie-Nouvelle-Guinée : université de Papouasie-Nouvelle-Guinée, 1985), 29-30.

En 2012, ces facteurs - en particulier l'impression de mauvais résultats en anglais - ont contribué à la décision de revenir sur la politique de la langue d'enseignement dans les écoles de Papouasie-Nouvelle-Guinée. La chronologie ci-dessous présente les faits marquants du débat public de Papouasie-Nouvelle-Guinée sur la langue d'enseignement.

Réflexion sur la langue d'enseignement en Papouasie-Nouvelle-Guinée : chronologie

Il y a 45 000 ans : Les premiers humains arrivent dans la région. À mesure qu'ils se dispersent dans les micro-climats très diversifiés de Papouasie-Nouvelle-Guinée et qu'ils établissent des communautés qui sont souvent isolées les unes des autres, ils développent des centaines de langues papoues indépendantes.

Il y a 3500 ans : Des populations parlant des langues austronésiennes arrivent en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Fin des années 1800 : Des missionnaires chrétiens débarquent en Papouasie-Nouvelle-Guinée et sur les îles voisines. De nombreuses missions dispensent leur enseignement dans la langue vernaculaire des communautés dans lesquelles elles s'établissent, en traduisant parfois la Bible dans une forme d'écriture locale.

1884-1907 : L'Allemagne colonise la moitié nord de l'île principale, tandis que le Royaume-Uni colonise la moitié sud, qu'il transfère ensuite à l'Australie. L'enseignement de l'anglais devient obligatoire dans les écoles des missions de la moitié sud de l'île.

1915 : L'Australie occupe la moitié nord de l'île (et continue d'administrer la moitié sud). L'anglais est la seule langue de l'enseignement formel. Le hiri motu (langue issue de la tribu Motu de Port Moresby, d'où provenaient les forces de police gérées par l'Australie) et le tok pisin (un créole (pidgin) combinant des éléments de l'allemand, de l'anglais, du polynésien et de langues locales) émergent comme langues véhiculaires.

Années 1920-1950 : Des débats surgissent entre les autorités missionnaires et coloniales, ainsi qu'au sein même de ces dernières, quant à l'utilisation de l'anglais ou de la langue vernaculaire dans les écoles des villages.

1969 : Ernest Kilalang, enseignant d'école primaire aux Tolai, s'enquiert, lors d'une réunion nationale sur l'éducation, de la raison pour laquelle les enfants n'apprennent pas dans leur propre langue, comme c'était le cas dans les écoles des missions.

John Gunther, un administrateur colonial, rédige l'article « More English, More Teachers » (davantage d'anglais, davantage de professeurs), dans lequel il avance que le système éducatif de Papouasie-Nouvelle-Guinée n'a pas besoin des langues locales.

1972 : L'ONG SIL International forme Ernest Kilalang et d'autres Tolai à l'élaboration de matériel de lecture et d'écriture dans la langue vernaculaire.

1973-75 : Plusieurs conférences universitaires dans la région recommandent d'utiliser le tok pisin et les langues vernaculaires dans l'enseignement. Les recherches menées par l'extension de l'université de Papouasie-Nouvelle-Guinée dans la province des Îles Salomon du Nord (aujourd'hui région autonome de Bougainville) indiquent que les parents souhaiteraient que leurs enfants reçoivent une éducation aux langues et cultures locales - essentiellement car ceux-ci, en suivant leur scolarité en anglais, hors de leurs communautés, qui ne leur enseigne aucun savoir local, s'écartent peu à peu de leur culture.

1975 : La Papouasie-Nouvelle-Guinée devient indépendante. L'anglais, le hiri motu et le tok pisin sont déclarés langues officielles.

1976 : Un projet de Plan quinquennal pour l'éducation prévoit un enseignement de base dans la langue vernaculaire, mais il est rejeté par le Conseil exécutif national. L'anglais reste la langue de l'éducation formelle, même si les établissements sont autorisés à employer les langues vernaculaires pour faciliter la compréhension des élèves. Aucune formation des enseignants ni aucune ressource en langue vernaculaire n'est cependant fournie.

1979 : SIL International forme du personnel de la province des Îles Salomon du Nord à l'élaboration de matériel de lecture et d'écriture dans la langue vernaculaire.

1980 : Le gouvernement de la province des Îles Salomon du Nord introduit le système Viles Tok Ples Skul, un système d'enseignement préscolaire non formel dispensé dans les langues locales.

1981-1985 : Deux autres provinces et quatre autres communautés linguistiques locales créent leurs propres écoles Viles Tok Ples Skuls.

1985 : La Conférence des ministres de l'Éducation des provinces recommande l'éducation préscolaire dans la langue vernaculaire.

1986 : Le comité chargé de la philosophie de l'éducation recommande l'emploi de la langue vernaculaire pendant les trois premières années de scolarité, mais le Parlement rejette cette recommandation.

1988 : Le Parlement accorde des fonds au ministère national de l'Éducation afin d'ouvrir une section consacrée à la langue vernaculaire et à l’alphabétisation, avec formation et matériel pédagogique. Le nouveau Comité national pour l'alphabétisation adopte une politique nationale pour la langue et l'alphabétisation, approuvée par le Secrétaire de l'éducation, qui recommande aux provinces, aux ONG et aux communautés d'appuyer l’apprentissage initial de la lecture et de l’écriture dans la langue vernaculaire.

1989 : Le Parlement approuve le Programme d'alphabétisation et de sensibilisation, qui spécifie que les enfants doivent apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue. SIL International lance le projet « Shell Project », qui propose des livres types pré-illustrés (« shell books ») que les communautés peuvent compléter par des traductions locales de leurs histoires.

1990 : Un examen du secteur de l'éducation recommande de le restructurer et de mettre en place un cycle élémentaire de 3 ans dans la langue vernaculaire, dans le village, suivi de 6 années d'enseignement primaire dans la communauté, puis de 4 années d'enseignement secondaire au niveau provincial. Cette politique permet effectivement d'augmenter de deux ans le cycle d'enseignement de base, grâce aux économies réalisées en embauchant du personnel local au lieu d'enseignants professionnels plus qualifiés pour les années d'école élémentaire.

1994-1997 : Cette nouvelle structure de système éducatif est testée dans la province de Baie Milne, puis dans celle de Nouvelle-Irlande l'année suivante. La nouvelle selon laquelle ces deux régions bénéficient de deux années supplémentaires d'enseignement de base financé par l'État se répand rapidement dans le pays. Les parents estiment que cela pourrait permettre à leurs enfants d'être mieux préparés pour décrocher un emploi. Ce facteur, plus que le souhait particulier d'un enseignement dans la langue vernaculaire, bien qu'également apprécié, semble avoir été la principale raison qui a poussé les parents à faire pression pour que le système soit étendu au pays entier.

1998 : Grâce à la pression publique pour accéder aux deux années supplémentaires d'enseignement primaire, la nouvelle structure éducative a été mise en place dans toutes les provinces, beaucoup plus rapidement que ce qui était initialement prévu. Des ONG (en particulier SIL International), des églises et des universités aident les communautés à créer un alphabet pour les langues orales ainsi que du matériel de lecture. Toutes les communautés ne peuvent pas immédiatement proposer un enseignement dans la langue vernaculaire et, à certains endroits, on ne sait pas bien quelle langue vernaculaire employer dans les écoles.

2003 : Les premiers programmes d'éducation axée sur les résultats (OBE) sont publiés. Ce principe fait l'objet d'une importante controverse dans le pays et commence à être associé aux réformes sur la structure du système éducatif et la première langue d'enseignement.

2008 : Une étude du ministère de l'Éducation révèle qu'environ 30 % des écoles du pays n'ont pas appliqué la nouvelle structure d'enseignement élémentaire (préparatoire + 2 années) et primaire (jusqu'à la 8e année). La plupart des élèves commencent l'école élémentaire à plus de 6 ans (l'âge prévu) et le système connaît des problèmes récurrents d'accès à l'éducation et d'abandon scolaire.

2012 : 4 décembre 2012—Le nouveau Premier ministre Peter O’Neill s'intéresse au mécontentement des parents vis-à-vis du système éducatif de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le public associe l'enseignement dans la langue vernaculaire à une réforme plus large relative à l'éducation axée sur les résultats (OBE) ; M. O’Neill fait remarquer que cette réforme et son intérêt pour les langues vernaculaires venaient d'ailleurs. Selon lui, le ministère de l'Éducation a tardé à répondre aux inquiétudes des parents quant aux effets préjudiciables de l'enseignement dans la langue vernaculaire, et la direction de l'éducation devra changer si elle refuse d'entendre l'opinion publique. Il annonce que toutes les écoles élémentaires vont passer à un système d'enseignement en anglais à compter de l'année scolaire 2013.

14 décembre 2012—L'Association des enseignants de Papouasie-Nouvelle-Guinée prévient le gouvernement que la suppression précipitée du système OBE va créer une grande confusion pendant l'année scolaire 2013.

2013-2014 : Les écoles élémentaires du pays commencent à appliquer la politique qui prévoit d'utiliser l'anglais comme langue d'enseignement. Il règne cependant une certaine confusion quant aux exigences réelles de cette nouvelle politique.

2017 : Le débat sur la langue d'enseignement se poursuit dans des articles de presse et des éditoriaux. L'attention du public se tourne vers d'autres controverses, telles que les pratiques qui consistent à retenir les certificats jusqu'à ce que les élèves aient payé certains frais.

Notes                   

[1] Susan Malone and Patricia Paraide, "Mother Tongue-Based Bilingual Education in Papua New Guinea," International Review of Education, no. 57 (2011);

Patricia Paraide, "Rediscovering Our Heritage," (Port Moresby: National Research Institute, 2002); "Vernacular Languages and the Systems of Knowledge Embedded in Them," (Port Moresby: National Research Institute, 2009);

D. Klaus, "The Use of Indigenous Langauges in Early Basic Education in Papua New Guinea: A Model for Elsewhere?," Language and Education: An International Journal 17, no. 2 (2003).

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